éd
Actes Sud
256
pages
Ce
qu'en dit l'éditeur :
En
ce matin de janvier la jeune Lucine arrive de Jacmel pour régler une
affaire familiale à Port-au- Prince.
Mais, très vite après sa
descente du bus dans cette ville où elle a connu les heures
glorieuses et sombres des manifestations cinq ans plus tôt, elle
sait qu'elle est revenue pour ne plus partir, pour construire ici la
vie qui l'attendait.
Hébergée chez Fessou, dans une ancienne maison
close, elle fait la connaissance du maître de maison, le Vieux Tess,
et de ses amis et partenaires hebdomadaires de longues parties de
dominos : Le Facteur Sénèque, Pabava, Jasmin Lajoie, Boutra. et le
docteur Saul, fils d'une domestique et du maître de la maison Kénol,
qui soigne les gens mais n'a pas terminé ses études de médecine.
Dans la cour sous les arbres, dans la douceur de l'amitié et du
temps tranquille, quelque chose frémit qui pourrait être le
bonheur, qui donne du courage, l'envie d'aimer et d'accomplir son
existence. Mais le lendemain la Terre tremble, la ville s'écroule,
le sol s'éventre. Que peut-il rester d'espoir et de projets aux
rescapés ?
Laurent GAUDÉ, né en 1972, est l'auteur de près d'une dizaine de romans
(Prix Goncourt pour La mort du roi Tsongor et Le soleil des Scorta),
d'une douzaine de pièces de théâtre, et de nouvelles
Ce
que j'en ai pensé :
J'attends
toujours chaque nouveau roman de Laurent GAUDÉ avec une impatience
et une joie non dissimulées ! Depuis "Le soleil des Scorta",
qui m'avait bouleversée, je n'ai raté aucun de ses romans ! j'ai
vibré à chacune de ses lignes, me suis laissée emporter par ses
histoires, et à chaque fois, je ne suis pas déçue, je vibre à ses
mots, j'en ressens la poésie, parfois le lyrisme, je suis chacun des
personnages qu'il dépeint...
Ce
roman ne déroge pas à la règle ! L'écriture est forte, elle
impose son rythme, sa respiration, elle déroule les phrases, les met
en suspens, accélère les mots. Elle restitue les vibrations de la
terre en colère qui s'ouvre pour laisser sortir les morts, elle
s'amuse d'une partie de domino et d'une jolie fille en jupe très
courte.
Les noms des personnages, des lieux cadencent le texte (je ne
me lasse pas de "Fessou Verte", le nom du bordel de
Port-au-Prince, tenu par le Vieux Tess !). La sarabande est aussi
folle que la terre est violente, on ne sait plus qui est mort et qui
est vivant tant l'esprit vaudou, de Baron Samedi à Madame Brigitte,
s'amuse à mélanger les ombres ! Les personnages s'entrecroisent, se
retrouvent et se perdent (Lucine et Nine sa soeur, Pabava, le facteur
Sénèque, Firmin "Matrak" l'ex-tonton makoute, Ti Sourire
et Emeline, Saul, Lily et Boutra...).
Et
au-delà de la catastrophe, des destins contés, j'ai surtout lu une
magnifique ode au peuple haïtien, un hommage à ses révoltes, à sa
liberté, à son histoire tumultueuse et à son immense courage.
C'est
un roman puissant tel une déclaration d'amour ;o)
Extraits
:
"Hommes,
ce qui est sous vos pieds vit, se réveille, se tord, souffre
peut-être, ou s'ébroue. La terre tremble d'un long silence retenu,
d'un cri jamais poussé.
Hommes,
trente-cinq secondes, c'est un temps infini et vos yeux s'ouvrent
autant que les crevasses qui lézardent les routes et les murs des
maisons. En ce jour, à cet instant, tous les oiseaux de
Port-au-Prince s'envolent en même temps, heureux d'avoir des ailes,
sentant que rien ne tiendra plus sous leurs pattes, et que, pour les
minutes à venir, l'air est plus solide que le sol."
"Ils
l'aiment pour les silhouettes presque inertes qui gisent sur un bord
de rue, de tout âge, hommes ou femmes qui n'ont plus de parents,
plus de maison et qui, au fond des yeux, ne semblent plus ressentir
de douleur parce qu'ils sont trop loin. Ceux-là, qui s'en souviendra
? Ceux-là, ils avancent encore un peu, titubant du choc qu'ils
viennent de subir, mais ils ne vivront plus? Lorsque les forces les
quitteront, ils s'arrêteront définitivement et mourront sans même
gémir. Ceux-là sont les ombres dont l'Histoire est faite, même
plus des individus, non, des ombres sans nom, sans passé, qui ne
parlent à personne. L'Histoire les avale, les mâche, s'en nourrit,
les absorbe sans rien dire (...) et ils s'en vont, sans violence, en
tournant le dos, levant un bras au ciel pour saluer ces hommes qui
leur ont parlé ou pour dire, juste, en silence : "J'ai
été...souvenez-vous, j'ai été...Et tout le monde s'en moquait..."
PS : en ce moment, une expo qui se termine le 15 février au Grand Palais et qui présente toute la richesse de la production artistique sur l'île d'Haïti.
Je vais le lire, ta chronique est splendide et en plus c'est un auteur que j'apprécie énormément :) !
RépondreSupprimerJe n'ai pas été aussi emballée que toi je dois dire ;-)
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