Ce
que j'en ai pensé :
"C'était
vertigineux. J'avais une nouvelle terre et j'avais une nouvelle
famille. Jour après jour, des hommes m’offraient un fragment du
pays. "
Il n'est pas au bout de ses surprises, Georges, l'ancien étudiant révolutionnaire, quand il accepte par amour pour son ami mourant, Sam le juif grec, de se rendre à Beyrouth pour prendre le relais d'un projet bien particulier : faire jouer Antigone par une troupe mêlant druzes, chiites, sunnites, chrétiens maronites... Tous ensemble pour offrir un répit à la guerre qui secoue le Liban.
Il faut convaincre, parfois juste par un silence, parfois à la faveur d'un "incident" presque diplomatique, afin que chacun, dans ses convictions politiques ou religieuses, trouve sa place.
Avec les balles qui sifflent aux oreilles et les susceptibilités à ménager.
"C'est
le Liban qui tire sur le Liban."
Il faut composer avec la peur de mourir, avec le désarroi, avec l'incompréhension (les uns contre les autres), avec la barrière de la langue et de la foi.
Et Sam qui meurt doucement sur son lit d'hôpital.
"Des
avions se jetaient sur la ville. Ils bombardaient la capitale du
Liban. C'était incroyable, dégueulasse et immense. J'étais en
guerre. Cette fois, vraiment. J'avais fermé les yeux. Je tremblais.
Ni la peur, ni la surprise, ni la rage, ni la haine de rien. Juste le
choc terrible, répété, le fracas immense, la violence brute, pure,
l'acier en tous sens, le feu, la fumée, les sirènes réveillées
les unes après les autres, les klaxons de voitures folles, les
hurlements de la rue, les explosions, encore,encore, encore."
L'immeuble Barakat, "la maison jaune", à Beyrouth
Comment
trouver les mots justes pour dire à quel point ce roman est fort ?
Du genre qui prend aux tripes et qui ne s'oublie pas ! Du genre qui
montre comment les guerres bouleversent les hommes (et pour Georges,
c'est radical !), obligent à prendre parti, obligent à plonger au
cœur de la tourmente...
Il
est difficile pour moi d'émettre une "critique"..Que
pourrais-je critiquer ? La folie du monde et la déraison des
combattants, la folie d'artistes prêts à presque tout pour monter
Antigone au milieu de l'horreur, comme un parallèle absurde entre la
tragédie de théâtre et celle du monde ? Dire que tout paraît
dérisoire autour ?
J'avais
ce roman depuis sa parution dans ma PAL, il faisait partie de ceux
que je voulais absolument lire quand j'en avais découvert un
extrait. Et je l'ai laissé tomber, oublié sur une étagère de ma
bibliothèque. Il lui fallait sans doute "le bon moment",
celui qui permet la rencontre qui marque au cœur.
"Et
voilà. Sans la petite Antigone, c’est vrai, ils auraient tous été
bien tranquilles. Mais maintenant, c’est fini. Ils sont tout de
même tranquilles. Tous ceux qui avaient à mourir sont morts. Ceux
qui croyaient une chose, et puis ceux qui croyaient le contraire même
ceux qui ne croyaient rien et qui se sont trouvés pris dans
l’histoire sans y rien comprendre. Morts pareils, tous, bien
raides, bien inutiles, bien pourris. Et ceux qui vivent encore vont
commencer tout doucement à les oublier et à confondre leurs noms.
C’est fini."
Jean
Anouilh, Antigone (1942)
en version poche